L’affaire Carlos Ghosn a révélé au monde les défaillances du système pénal japonais au regard des droits de l’homme, communément qualifié de « Justice de l’otage » (hitojichi shihō, 人質司法).
Ce système est bien connu et a été dénoncé auparavant par les japonais eux-même et les ONG dédiées aux droits de l’Homme. Il a ainsi fait l’objet d’un film primé au Yokohama Film Festival 2008 (« I Just Didn’t Do It » de Masayuki Suo), de plusieurs scandales dont l’affaire Atsuko Muraki, de deux rapports d’ONG de Human Rights Watch en 1995 et d’ Amnesty International en 1998) et de quelques enquêtes médiatiques.
L’arrestation en novembre 2018 d’une personnalité telle que Carlos Ghosn, à la renommé internationale, a mis en lumière ce système. L’appel des juristes japonais à mettre fin à cette « justice de l’otage » a mis en lumière que le traitement de Carlos Ghosn était emblématique du “hostage justice system” japonais, dans lequel les suspects sont détenus pendant de longues périodes, dans des conditions difficiles, et ce, pour les conduire à l’aveu.
Dans Japan Times, le professeur de droit Colin P.A. Jones révèle ainsi le caractère autoritaire particulier de la justice nippone par deux chiffres : le taux de condamnation est de 99,94% et, 93% de ces condamnations sont prononcées à la suite d’une confession du suspect.
Les ONG de défense des droits de l’homme telles que le Centre pour les droits des prisonniers et la Fédération internationale des droits de l’Homme et leurs portes-paroles comme Kenneth Roth ont ainsi renouvelé les appels internationaux à une réforme du système de justice japonais.
Cette situation a mené l’avocat des droits de l’Homme, Me François Zimeray, à « saisir le groupe de travail sur la détention arbitraire auprès du haut-commissaire des droits de l’Homme à Genève aux Nations unies ».
- Une détention anormalement longue
Arrêté le 19 novembre 2018, Carlos Ghosn a vu sa détention étre renouvelée plusieurs fois, menant l’ancien patron à passer 129 jours à l’isolement dans le cadre de sa détention provisoire. A titre de comparaison, le Japan Times rappelle qu’au Royaume-Uni comme en France, un suspect est généralement en garde à vue pour 24h, la durée maximale étant de 4 jours.
Selon le droit nippon, une garde à vue de 72 heures peut être prolongée de 20 jours à la demande du procureur. Par la suite, la détention provisoire peut être prolongée si la police et les procureurs émettent de nouveaux mandats d’arrêt basés sur des crimes connexes.
En effet, au lieu d’être arrêté une unique fois, les procureurs ont divisé en plusieurs temps les accusations envers M. Ghosn permettant de le maintenir en garde à vue jusqu’au 25 avril 2019 (avec une courte période de libération du 06 mars au 04 avril 2019), date à laquelle il est mis en résidence surveillée. Cette technique, dite du « saucissonnage », a été dénoncée par l’avocat de Carlos Ghosn puisqu’elle contrevient à l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Japon en 1979.
- La stratégie de l’aveu
Loin de la présomption d’innocence, la justice japonaise est fondée sur la « présomption de culpabilité » tel que le rapportent La Croix et Japan Times. François Zimeray dénonce ainsi « l’inversion de toute logique de justice : d’abord, on vous emprisonne, on tente de vous faire avouer, puis l’on cherche tous azimuts de quoi vous pourriez bien être coupable. »
Ce système de « confession » est entretenu par les procureurs qui œuvrent à faire ployer les détenus par la dégradation psychologique au cours d’interrogatoires quotidiens de plusieurs heures.
Carlos Ghosn a ainsi fait l’objet de nombreux interrogatoires d’une durée moyenne de 5 heures quotidiennes, sans la présence de son avocat et dans le but d’obtenir des aveux. « C’est une machine à faire craquer, une machine à faire condamner » déclare l’avocat des droits de l’Homme François Zimeray.
- Des conditions de détention inhumaines et dégradantes et un traitement xénophobe
Au cours des 129 jours de détention à l’isolement (solitary confinement), le traitement réservé à Carlos Ghosn est en totale violation des règles Mandela comme le rappelle son avocat François Zimeray. Etablies en 2015 par les Nations Unies, les règles Mandela établissent les règles minimales devant être attribuées aux personnes privées de leur liberté : 130 jours en prison, isolé dans une cellule minuscule avec la lumière allumée jour et nuit. Un isolement excessif pour une personne présumée innocente et par conséquent n’étant pas été condamnée.
Ainsi, le contact avec sa famille ou ses avocats a été extrêmement limité. Dans le cas de M. Ghosn, il semble qu’ils aient été interdits pour éviter des fuites. Il ne peut donc que joindre un avocat pour un conseil et obtenir la visite de l’ambassade de France car il bénéficie de la protection consulaire. Carlos Ghosn aura aussi le droit à la visite du consul du Brésil et de l’ambassadeur du Liban car il possède la nationalité de ces trois pays.
En rappelant une expérience similaire subie par Mark Karpeles, en 2015, les avocats ont donc considéré que Carlos Ghosn a été victime d’une procédure discriminatoire « en raison de sa race, de sa nationalité et de son statut social ».
Premièrement, la non-maîtrise du japonais l’empêche d’échanger avec les gardiens et l’a mis en difficulté particulière lorsque le procureur a souhaité lui faire signer un acte d’aveu.
En ce qui concerne la mise en liberté conditionnelle, l’avocate au Cabinet LPA dans la capitale nippone, Ayano Kanezuka avait alors affirmé que « même s’il n’y a pas de différence entre un accusé japonais ou étranger, les juges accordent moins facilement cette liberté à ces derniers, de peur que le suspect ne fuie à l’étranger. L’avocat peut demander autant de fois qu’il le souhaite une demande de liberté sous caution, qui risque d’être très élevée, même si rendue à l’issue du procès. »
Par ailleurs, « les loisirs sont difficilement accordés à ceux qui ne reconnaissent pas les charges dont on les accuse.” rapporte Le Figaro avant de spécifier que « Carlos Ghosn n’a sans doute pas accès à ces fantaisies [achats de denrées]. Sa journée est occupée par les interrogatoires, menés par les hauts fonctionnaires du bureau du procureur. »
Si le Japon souhaite être à la hauteur de sa bonne réputation démocratique, il doit moderniser son système judicaire. Comme l’affirme Kana Sasakura, la fuite de l’ex-PDG de Renault-Nissan « confirme qu’au Japon, “la justice de l’otage” n’a pas été modifiée ». Ainsi, au-delà de la stricte affaire Ghosn, c’est plus généralement l’ouverture du Japon qui est mise en jeu.
Enfin, plus tard, en janvier 2020, depuis Beyrouth Carlos Ghosn répond à la Ministre de la Justice du Japon. Celle-ci avait déclaré, plus tôt, avant de se raviser, que Carlos Ghosn devait prouver son innocence. De fait, elle ignora totalement la présomption d’innocence, principe selon lequel toute personne, qui se voit reprocher une infraction, est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement démontrée. La charge de la preuve incombe à l’accusation, c’est-à-dire au parquet et non à la défense, dont les droits, dans l’affaire Carlos Ghosn, ont été systématiquement bafoués.