Carlos Ghosn, président de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors, a été arrêté le 19 novembre 2018 à Tokyo par la justice japonaise, à la suite d’un signalement de Nissan pour « sous-déclaration de revenus auprès des autorités boursières japonaises ».

Cette arrestation, qui a rapidement conduit à deux mises en accusation distinctes par le parquet japonais, à des investigations menées dans le monde entier par Nissan et à la chute d’un dirigeant de classe mondiale — auteur des redressements industriels les plus spectaculaires chez Nissan et Mitsubishi et ayant hissé Renault au premier plan de l’industrie automobile — symbolise aujourd’hui la férocité de la guerre économique entre États, une guerre où manifestement tous les coups sont permis.

Ainsi, l’amende record de plus de 9 milliards de dollars payée par BNP à la justice américaine en 2014, tout comme l’arrestation à Vancouver de la directrice financière de Huawei et celle d’un haut cadre français d’Alstom aux États-Unis, sont autant de faits qui illustrent cette « guerre du droit » menée à des fins économiques.

L’affaire Carlos Ghosn constitue en effet un cas d’école de guerre économique. Pour le Japon, l’enjeu est de reprendre le contrôle de Nissan, champion industriel national passé sous domination étrangère. Pour la France, après l’alliance et ses synergies annuelles de 5,7 milliards d’euros, l’étape suivante était une intégration accrue entre les deux constructeurs — perspective que les Japonais voulaient éviter à tout prix. Le seul homme en position de mener ce projet à bien était Carlos Ghosn ; l’écarter est alors devenu une question d’intérêt national. Ainsi, la sentence a été prononcée avant tout procès, et le moins que l’on puisse dire est que la justice japonaise ne cultive guère le doute : au Japon, où les aveux sont au cœur du système pénal, 99 % des accusés sont condamnés.

Preuve manifeste d’une guerre économique inavouée : deux poids, deux mesures s’appliquent aux Japonais et aux étrangers. Tandis que Carlos Ghosn a été livré ipso facto à la justice dans une mise en scène spectaculaire et incarcéré 130 jours dans des conditions dures pour des revenus qu’il conteste et qu’il n’a pas perçus, Hiroto Saikawa, qui a reconnu après enquête avoir reçu un trop-perçu de 400 000 €, a pu, lui, s’expliquer devant le conseil d’administration, s’excuser « pour les désagréments causés » et s’engager à rembourser le trop-perçu. Sa seule sanction fut d’être poussé à la démission.

Un dispositif élaboré pour justifier l’éviction de Carlos Ghosn de la tête de l’Alliance et contrarier le projet de création d’une société holding commune

S’il est un fil conducteur dans les différents volets de cette affaire, c’est que rien ne s’est passé comme cela aurait dû : pendant plus de vingt ans au service des sociétés de l’Alliance, aucun reproche ni question sur la gestion financière de Carlos Ghosn n’a été soulevé par les organes de contrôle et de gouvernance dont c’était la mission.

Tous les faits allégués étaient connus de tous, validés par les instances de supervision, et aucune dissimulation ni manœuvre n’a jamais été démontrée. Certaines des opérations contestées ont même été signées par M. Saikawa, alors dirigeant de Nissan.

Circonstances exceptionnelles, moyens exceptionnels — au besoin au mépris des règles juridiques les plus élémentaires. Ainsi, le procureur de Tokyo, se fondant uniquement sur la position de Nissan, a-t-il tendu un piège à Carlos Ghosn, notamment en orchestrant la médiatisation de son arrestation, puis en procédant à quatre ré-arrestations successives ?

La durée et la sévérité de sa détention, l’acharnement procédural caractérisé par des conditions de libération sous caution extrêmement strictes et l’impossibilité d’accéder au dossier d’accusation complet onze mois après la première arrestation, fondent légitimement l’idée que les éléments visant à discréditer M. Ghosn poursuivent un objectif étranger à la justice, comme l’illustrent les exemples suivants :

  • La coïncidence entre sa mise à l’écart et ses projets récents de création d’une holding cotée commune à Renault et Nissan ;
  • L’exploitation des mauvais résultats historiques de Nissan pour justifier le rejet de l’intégration renforcée proposée par M. Ghosn ;
  • La « re-japonisation » de l’entreprise, avec le départ de plusieurs cadres étrangers, dont certains occupent désormais des postes clés chez des concurrents — ainsi José Muñoz, nommé directeur des opérations chez Hyundai.

Tout cela montre que, sans égard pour la notion même de justice, M. Ghosn a d’abord été neutralisé, puis des motifs ont été recherchés tous azimuts.

Qui, dans ces conditions, croirait que Hari Nada, au cœur de la direction de l’entreprise depuis des années et signataire de plusieurs documents contestés, n’était qu’un simple lanceur d’alerte ?

Surtout, au-delà des dérives du système lui-même, le sort particulier réservé à M. Ghosn révèle comment, dans ce dossier, la justice a été instrumentalisée au service d’un patriotisme économique japonais — parfaitement illustré par la différence de traitement entre Carlos Ghosn et Hiroto Saikawa — afin de briser ce qui est perçu comme une emprise industrielle de la France.

Carlos Ghosn, qui restera l’architecte de la première alliance automobile mondiale et de relocalisations industrielles en France, ne réclame ni traitement de faveur ni compassion.

Il a cependant droit au respect des principes universels applicables à tout être humain.

Carlos Ghosn ne doit pas être l’agneau sacrificiel des desseins économiques du Japon.

Les principes fondamentaux du droit ont ainsi été ouvertement bafoués

Dès l’ouverture de l’affaire, des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ont été violés à plusieurs reprises.

Plus surprenant, le droit japonais — et notamment la Constitution japonaise — a également été malmené, au point que — fait rare — deux grandes organisations de défense des droits humains (FIDH Japon, Human Rights Watch) et plus d’un millier d’avocats ont lancé des appels au respect de ces droits, en se référant explicitement à la situation de Carlos Ghosn.

Carlos Ghosn n’est ni au-dessus des lois ni en droit d’exiger une justice spéciale, mais il a droit à la justice, ce qui implique le respect de la présomption d’innocence, l’équité, la modération et la protection des droits de la défense.

Il n’appartient donc pas aux autorités françaises de se substituer au pouvoir judiciaire, a fortiori lorsqu’il s’exerce à l’étranger, mais de veiller au respect des conditions d’un procès équitable.

Harcèlement judiciaire manifeste (rappel des faits)

  • Le 19 novembre 2018, Carlos Ghosn est arrêté de manière spectaculaire devant les médias du monde entier afin de l’humilier et de le démoraliser. La mise en scène est orchestrée par le procureur de Tokyo. Le même jour, Ghosn est placé en garde à vue et interrogé quotidiennement sans la présence d’un avocat, sans possibilité de demander une libération sous caution.
  • Le 10 décembre 2018, Carlos Ghosn est de nouveau arrêté pour les mêmes faits mais sur une période différente. Alors qu’il allait être libéré, le parquet de Tokyo procède à une troisième arrestation.
  • Le 21 décembre 2018, il est arrêté une troisième fois afin de contourner la limite légale de 23 jours de garde à vue. Cette fois, selon le procureur, Carlos Ghosn est placé en détention pour avoir fait couvrir par Nissan des « pertes sur des investissements personnels ».
  • Le 5 mars 2019, Carlos Ghosn est libéré sous caution, soumise à des conditions très strictes.
  • Le 3 avril 2019, Carlos Ghosn est arrêté pour la quatrième fois afin de l’empêcher de tenir, le lendemain à Tokyo, une conférence de presse où, pour la première fois, il aurait présenté sa défense face aux accusations. Son épouse, présente, est traitée de manière humiliante, tandis que sont saisis — en violation des droits de la défense — les appareils contenant sa correspondance avec ses avocats.

Les conditions particulièrement difficiles de la détention de Carlos Ghosn

Détenu pendant 130 jours à la prison de Kōsuge, connue pour ses exécutions capitales par pendaison, M. Ghosn a dû subir un régime carcéral particulièrement dur, aux relents inhumains et dégradants :

  • Placement à l’isolement, sans aucun motif justifié ;
  • Lumière allumée en permanence, jour et nuit, altérant gravement son sommeil et son état général ;
  • Obligation, chaque nuit, de rester allongé sans pouvoir lire ni écrire ;
  • Cellule non chauffée, avec seulement deux couvertures autorisées ;
  • Deux douches par semaine uniquement ;
  • Exercice physique limité à 30 minutes par jour, du lundi au vendredi seulement.
    Les avocats japonais de M. Ghosn ont alors demandé que « la torture infligée à leur client cesse ».
  • Le 25 avril 2019, Carlos Ghosn est remis en liberté sous contrôle judiciaire et assigné à résidence.

À ce jour, il demeure privé de libertés fondamentales

  • Interdiction de quitter le territoire japonais ;
  • Obligation de résider à une adresse approuvée par le tribunal ;
  • Interdiction de se déplacer au Japon sans l’autorisation du tribunal ;
  • Vidéosurveillance permanente de son appartement ;
  • Interdiction d’utiliser un téléphone portable autre que celui fourni par ses avocats ;
  • Interdiction d’utiliser un ordinateur portable autre que celui mis à disposition par ses avocats et exclusivement dans leurs bureaux, de 9 h à 17 h, du lundi au vendredi ;
  • Obligation de remettre chaque mois au tribunal l’historique des appels, les pages Internet consultées et la liste des personnes rencontrées ;
  • Interdiction formelle de tout contact avec son épouse, sans motif ni limite de temps, y compris par téléphone. À cet égard, les véritables motivations du procureur choquent particulièrement : « Elle (Mme Ghosn) a critiqué le système pénal japonais (…) il semble que personne n’ait réussi à la faire taire… ».

Tous ces éléments constituent une privation de liberté injustifiable au regard des besoins de l’enquête.

Le Japon a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 21 juin 1979. Ce texte s’impose directement à son ordre juridique interne conformément à l’article 98 de la Constitution japonaise.

Dans cette affaire, où de véritables abus de procédure ont été organisés pour contourner la durée maximale de garde à vue — limitée au Japon à 23 jours — le procureur semble s’être affranchi de tout cadre légal…

Cette affaire est révélatrice du système de « justice de l’otage », conçu pour obtenir des aveux forcés, et met en lumière les dérives de la justice pénale japonaise.

Ces graves abus compromettent toute possibilité d’un procès équitable au sens de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.